L’État de droit est-il en bonne santé au Sénégal ?
L’État de droit se construit partout dans le monde. Il n’y a un Etat de droit achevé dans aucune partie du monde. La première démocratie que je connais bien, que ce soit aux Usa, du point de vue du nombre je veux dire, pas de la qualité ; tous les jours ; on voit des gens qui parlent d’État de droit, de droits bafoués pour les minorités raciales… c’est un processus qui se construit au fur et à mesure. Je pense qu’au Sénégal, nous sommes dans un processus de création et, justement, il va se nourrir de la posture des acteurs.
En parlant des acteurs, vous avez dénoncer une certaine rhétorique qui est même dangereuse, qui appelle à la violence, en faisant référence à Ousmane Sonko. Beaucoup de Sénégalais dénoncent l’organisation d’un concert, lors du deuil national et on entend beaucoup d’appels à l’insurrection. Est-ce qu’au Sénégal, le statut d’opposant offre une certaine immunité ?
Cela ne devrait pas être le cas. On ne devrait pas attendre que la loi règle ces problèmes. Il faut qu’on fasse chacun preuve de responsabilité et il faut aussi qu’on forme nos militants dans ce sens. Mais à un moment, la loi s’exerce. Il faut qu’on y travaille tous, les médias, la société civile, les acteurs politiques, majorité comme opposition, et que l’on bannisse cette rhétorique de la violence, parce que la violence appelle la violence. Vous avez des militants, nous en avons, ils se retrouvent dans la rue, vous avez des morts, et ce sera peut-être le fils du voisin ou de la voisine.
Revenons à cet insulteur. Quand vous me dites le chef de l’État ou ses services ignorent l’existence de ces individus qui souillent la sacralité des institutions, en tant que citoyen, cela me fait mal.
C’est possible ! Moi qui vous parle, j’ai été Premier ministre, ministre de la Justice, je ne le connaissais pas. Parce que vous n’avez que 24 heures dans une journée, c’est à vous de choisir ce que vous allez faire, de regarder ou de ne pas regarder. Vous pensez qu’on passe du temps à regarder des insulteurs ? Mais à l’avenir, on sera plus regardant avec ceux qui sont autour du Président. Je peux prendre la critique.
Sur ces questions, selon de nombreux experts, le procureur a la latitude de s’autosaisir face à l’insulte publique adressée à qui que ce soit ?
On n’a pas le droit d’insulter son voisin ; on n’a pas le droit d’insulter son époux ou son enfant.
Pourquoi, au Sénégal, le procureur, qui en a la prérogative, ne s’autosaisit pas ?
Je peux vous dire que, si vous devriez mettre tous ceux qui insultent en prison, il faudrait construire beaucoup de prisons. C’est pourquoi je dis l’opportunité de la poursuite aussi, c’est un principe de droit.
Vous avez bien des bracelets électroniques ?
Vous avez besoin d’en importer beaucoup alors. La réponse, c’est qu’il faudra qu’on consacre plus d’énergie et de temps à l’éducation civique. Je crois que c’est fondamental que les partis politiques forment leurs militants. Ce n’est pas avec des insultes qu’on s’oppose. Il faut qu’on re-civilise les relations sociales. On a vu aussi des élèves s’attaquer à leur maître dans des écoles. C’est une culture. On ne parle pas de mot « culture » par hasard, ça transpire dans la politique, à l’école dans le champ sportif, les navétanes… Donc, ça appelle d’abord une prise de conscience collective mais aussi des actions de tous les jours de la part de toute la société pour qu’on puisse dépasser ce stade.
Le président de la République s’adresse plus à la presse étrangère qu’à la presse nationale sur des sujets d’intérêt national ?
Figurez-vous que je suis d’accord avec vous. Je pense qu’on doit y réfléchir, suggérer au président effectivement de le faire si tant est aussi que la presse soit véritablement une presse indépendante. Il y a des journalistes indépendants et libres mais aussi, vous le savez très bien, votre propre corporation a besoin de se réorganiser.
Moi je ne l’entendrai pas pour la bonne et simple raison que le chef de l’État a donné une interview à un insulteur public reconnu. Donc, n’allez pas me parler, s’il vous plaît, de presse où les gens ne font pas correctement leur travail…
La prochaine fois on sera beaucoup plus vigilent. Il faudra que le président de la République passe plus de temps avec la presse nationale. Je vais faire le plaidoyer pour vous.
Vous aviez conduit la traque des biens mal acquis. Aujourd’hui, à l’heure où nous sommes, quel est votre sentiment par rapport à tout ce qui a été fait depuis ?
Il s’est passé tellement de temps. Ma vie a évolué depuis lors. Je ne mène plus la mission. D’autres s’en sont chargés. J’occupais le poste de ministre il y a 10 ans. C’est une conviction. Beaucoup de choses se sont passés dans ma vie, dans la vôtre, dans celle du pays. Il y a eu de combien de ministres de la Justice qui sont passés entre temps. Je ne peux que vous donnez des positions de principe. La bonne gouvernance est fondamentale pour n’importe quel pays. Il faut trouver les bons mécanismes parce que, visiblement, parfois poursuivre quelqu’un peut être dramatique pour la société. On y voit une chasse aux sorcières, peut-être qu’il faut mettre plus d’énergie dans la prévention. Cela aura été ma position, voir comment décentraliser l’Inspection générale d’Etat (Ige) qu’elle puisse être dans les ministères pour qu’elle puisse valider certaines dépenses, qu’elle puisse orienter même les dépenses au lieu de faire des contrôles à posteriori. Voilà un exemple de proposition que je peux faire. Parce que je pense que c’est important la bonne gestion.